Après avoir été sauvé des griffes d’un écureuil enragé par un étrange chasseur, Mills apprend qu’il risque une contagion si ses blessures ne sont pas soignées dans les plus brefs délais. En bonne âme charitable, le chasseur l’entraîne dans son immeuble déglingué.
029
L e chasseur d’écureuils tire En fait, c’est plus ou moins luiMills jusqu’à sa cage d’ascenseur et l’enfourne bien profondément à l’intérieur.
Une magnifique odeur d’urine mi-animale mi-humaine monte aux narines du malheureux bloggeur.
— Pouhaaa… C’est vraiment ici que vous habitez ?
Le chasseur appuie sur le bouton le plus haut du panneau avec une certaine virilité.
— Ouais. Tout’en haut. D’puis ma fenêtre j’veille sur l’ville ! ‘fin… surtout sur l’parc.
Les portes métalliques se referment dans un vacarme composé de grincements divers. Le moteur se met en marche.
La cabine prend son envol.
— Vous savez… C’est vraiment super gentil de faire tout ça pour moi mais… je ferais mieux d’aller chez un vrai médecin ou… à l’hôpital.
Mais le chasseur a totalement occulté cette phrase, comme le prouve sa réplique suivante :
— Ç’vous va bien l’cheveux mouillés com’ça.
Il approche sa main droite du visage de Mills et lui replaque une touffe mal brossée.
— Z’aviez une p’tite mèche r’belle.
— Me… Merci…
L’ascenseur est arrivé à bon port. La porte coulissante grince, lutte, force… mais s’ouvre.
— Dites donc, vous devriez mettre un peu de lubrifiant. Ça glisserait bien mieux.
L’écureuilerminator semble tout attendri. Il fronce le nez avec malice en disant :
— Z’avez r’son… C’qui faut faire dans c’cas là. V’nez, m’n’appart est just’au bout.
Les deux hommes traversent le couloir rayé de la liste des visites de Monsieur Propre depuis des siècles. Plusieurs portes sont condamnées, d’autres brisées… très peu semblent encore en état.
— Dites… vous habitez tout seul ? Enfin, je veux dire, je me doute que vous habitez tout seul dans votre appart mais, vous voyez, enfin… je veux dire… dans tout l’immeuble quoi ! Vous avez des voisins, des choses comme ça ?
— C’dépend. P’fois ouais. Y’a quel’ques bons squats par’ci par’là…
Un bon relent de « bordel, qu’est-ce que je fous là ? » traverse l’esprit de Mills au moment où le chasseur introduit sa grosse clé dans la serrure pour ouvrir la porte de son appartement…
— Ecoutez, vraiment, je ne voudrais pas abuser de votre…
… puis s’arrête net à la vue de son intérieur.
— ‘lez-y ! Entrez !
Devant ses yeux ébahis se dévoile un intérieur cossu, extrêmement soigné et stylé art déco avec soin et « goût ». Mills n’en croit pas ses yeux : « Putain, ce type a vraiment la classe ! » pense-t-il.
Le petit deux-pièces regorge de babioles aussi inutiles qu’indispensables à tout bon bobo qui se respecte. En un mot comme en mille, c’est un vrai piège à Mills !
— Hey hey !!! Vous avez pratiquement la même lampe que moi ! Mais la votre, elle est encore plus belle, plus grosse…
Les joues du chasseur rosissent.
— M’r’ci…
— Cette forme oblongue, cette texture… si douce… je pourrais la toucher et la regarder pendant des heures faire des bulles avec son liquide visqueux ! Pas vous ?
— Ohh’oui… C’que v’parlez bien…
— J’aimerai trop m’en prendre une !
— ‘tendez, ‘tendez ! J’r’viens !
Le chasseur file dans la salle de bain…
— Quelle chance vous avez ! Faut vraiment que je m’en choppe une. Enfin… juste à côté de la mienne, elles feraient vraiment la paire. Et avec une paire comme ça, j’aurai doublement la classe !
… et revient avec quelques compresses et un petit flacon d’alcool à 90°.
— J’plein de matos à’vous m’ntrer m’a’vant f’drait soigner vot’ blessure.
— Ouais ouais…
Mais soudain, Mills est pris d’un vent de panique incontrôlable !
— Oh non ! NON ! Si ça se trouve ils sont en rupture de stock ! Si ça se trouve ils n’en font plus des comme ça !! Si ça se trouve c’est trop la merde ! Si ça se trouve y’a plus que la votre ! Dites, vous avez Internet ?
— Ouais j’ternet…
Il montre du doigt la chaise estampillée Mr jefaisdelamerdemaisçacartonneStark sortie de sous une table rose fluo.
— … mais v’nez v’z’assoire ‘vant. C’dangereux l’cureuils !
Cette vision paradisiaque fait littéralement halluciner Mills…
— Trop ! La !! Classe !!!
… et c’est avec délice qu’il y pose son postérieur.
— Huuummmm… C’est un vrai plaisir pour les fesses ! Mon cher ami, vous êtes un homme de goût ! Sincèrement, j’avais quelques doutes en découvrant votre immeuble mais là, c’est encore mieux que chez PubMillsitéIkea ! NON ! C’est encore mieux que chez PubMillsitéCocktail Scandinave !
— Faut j’mais s’fier à l’emballage. L’portant c’l’cont’nu !
— Bien dit ! Allez, soignez-moi vite qu’on puisse passer aux choses sérieuses ! Je vais arriver à la bourre au taf mais là, franchement, c’est un cas de force majeure !
— Ç’va p’têtre piquer un’peu.
— Non ça va aller… J’en ai vu d’autres vous savez !
— J’sais…
Le chasseur attrape la main de son patient avec délicatesse et la frotte avec sa compresse imprégnée d’alcool.
Mills fait son possible pour retenir un cri de douleur :
— Ça picote votre truc… mais c’est bon, c’est bon… Continuez.
C’est d’ailleurs avec un plaisir non dissimulé qu’il continue sa besogne.
— C’dingue c’que v’z’avez l’peau douce…
— Me… merci.
— P’contre v’devriez enl’ver vos fringues. Sont tout d’chirés et’trempées. Pis c’sera plus simple pour soigner vot’blessure à l’cuisse.
— Putain quelle galère… J’ai pas de fringues de rechange et je vais avoir l’air d’un clown si je me pointe au taf comme ça…
— J’pourrais v’prêter d’trucs à moi si v’voulez.
— C’est gentil à vous mais d’une part, je ne voudrais pas abuser et d’autre part… on ne fait pas vraiment la même taille. Et puis… je ne suis pas très militaire en fait.
— J’plein d’autr’chose p’r’vous…
— Alors ça, c’est vraiment sympa. Vous êtes vraiment sympa euh… euh… Mais comment vous appelez-vous au fait ?
L’homme se redresse, pose ses poings sur ses hanches et crie :
— J’suis l’Total Commander !!!!
— C’est votre nom ça ?
— Ouais. C’le nom q’je m’suis choisi.
— Je… vois…
— Vz’aimez pas ?
— Oh euh… ma foi… Ça a du slip mais…
Le Total Commander tourne autour de Mills puis se plaque derrière lui et entame un petit massage des cervicales avec délectation.
— Dites… mon cou va bien. Ma blessure c’est…
Il lui cajole les joues.
— C’quand même incr’yable d’êtr’tombé sur’vous.
Il lui caresse les lobes d’oreilles.
— Ouais enfin, c’est juste une coïncidence hein.
Il lui câline les lèvres.
— J’crois pas aux c’cidences. C’bien plus.
Mills commence à se sentir mal et se dégage d’un geste brusque.
— Bon euh… écoutez, je vous remercie pour tout ce que vous avez fait mais là, je dois partir. J’ai du boulot aujourd’hui. Plein de jeunes qui m’attendent pour me faire ma fête.
Total Commander se mordille la lèvre inférieur avec fébrilité.
— Ohhh… Dit’, j’peux v’nir aussi ?
Mills recule d’un pas.
— Non ! Heu… Enfin… C’est pas correct. Je ne peux pas inviter d’étrangers sans prévenir. Vous comprenez ?
La déception désappointée se lit sur le visage déconfit du pauvre malheureux rejeté :
— Oui… J’comprends. P’tant, j’pourrais v’z’aider v’savez ! Moi ‘si j’aime bien les p’tits jeunes. J’sais c’mment les prendre. J’aimerai bien p’sser un casting pour faire com’ vous.
Mills, ne pouvant retenir un sourire et surtout l’occasion de reprendre son interlocuteur annonce fermement :
— Vous voulez dire un « examen ». C’est un « examen » pour devenir prof, pas un « casting ».
— Ouais, un ex’men… Com’ pour l’cliniques quoi. Mais j’beaucoup révisé. Tous l’soirs d’puis d’z’années j’révise pour êtr’ au top ! Et d’travaux manuels, j’en’ai fait !
— Ouais je veux bien vous croire sur parole mais ce n’est pas moi qui décide… Je ne suis qu’un exécutant vous savez…
Total Commander s’écarte d’un bon mètre, reprend son souffle et prononce d’une voix tremblante en posant sa main sur son entrejambe :
— ‘lors s’yez franc ‘vec moi et dites s’j’ai bien tout’ l’qualités r’quises pour r’usir dans v’tre m’lieu.
Mills saute en arrière et ne peut retenir un :
— Putain, c’est quoi cette merde encore ?